mercredi 19 septembre 2012

Niang revient sur sa carrière

Une interview passée inaperçue sur les sites majeurs spécialisés dans le football mais terriblement intéressante pour les fans de lOM et de la ligue 1...

Mardi 8 février, dans un hôtel stalinien de Dakar où la sélection sénégalaise est au vert avant un match amical gagné (3-0) face à la Guinée. Un président de club branche un gardien. «Alors, tu signes ?»«Pfff, j’en peux plus de la sélection, je joue que pour moi, l’équipe…» On alpague Mamadou Niang, ancien meilleur joueur de Ligue 1, ex-idole du Vélodrome de Marseille et actuel attaquant (12 buts en 22 matchs) au Fenerbahçe d’Istanbul (Turquie). En fin connaisseur, il nous raconte le foot français (11 saisons pro).

Un souvenir marseillais ?

Le titre de champion de France en mai, ndlr, le reste… On est mal parti. Vraiment. Et puis on se parle, on discute, on tente de croire en nous. On voit aussi, après, que le coach croit en nous. On se dit des vérités, parfois cruelles. Puis on est récompensés. On daube sur l’entraîneur en ce moment, mais Didier Deschamps, c’est un type qui ressent le mal-être du joueur. Qui te parle. Qui cherche. Tu peux être mal deux ou trois matchs : il te laisse du temps de jeu. Il veut savoir : pourquoi, comment ?

Mais il y a toujours des rapports de force ?

Non. Même quand on m’a donné le brassard, j’ai tenté de faire le taf. Et si les joueurs étaient tristes quand je suis parti, je crois que ce n’est pas tant pour mes qualités de joueur que pour mon rôle dans le vestiaire et mon influence auprès des jeunes joueurs. Quoi qu’on en dise, le collectif a toujours été ma priorité.

Mais vous avez joué la stratégie de la tension pour partir en Turquie ?

Faux. Posez la question aux joueurs. Après, le club doit laisser partir celui qui a une opportunité. Prenez Dimitri Payet, qui ne s’est pas entraîné pour partir de Saint-Etienne : le club stéphanois l’a bien débauché de Nantes en 2007… Il est dans le Forez depuis trois ans, il veut aller au PSG, gagner plus, se montrer plus, prendre du galon chez les Bleus. Pourquoi on lui refuse ça ? L’ambition, c’est le moteur du joueur.

N’empêche, quand vous êtes parti, on vous a traité de mercenaire…

Mais ça veut dire quoi ? J’y ai passé cinq ans, je suis parti du plus bas salaire, ou presque. J’ai fermé ma gueule, j’ai bossé, je suis resté. J’ai pourtant eu plein d’occasions de partir pour beaucoup d’argent…

Pourquoi ne pas être parti avant ?

Parce que je n’avais rien gagné avec l’OM. Là, cet été, j’avais 30 ans, c’était maintenant ou jamais. On m’a flingué injustement. J’ai beaucoup sué pour ce club, et il m’a beaucoup rendu.

Rester en contact avec le réel, mission impossible pour un pro ?

Non, c’est facile : il suffit de couper son portable. Sinon, c’est simple : t’es toujours rattrapé. Par le pote qui te parle de ton match. Le supporteur qui demande pourquoi t’as foiré un but il y a dix semaines. L’agent qui te laisse entendre que t’as des pistes ou plus du tout. Nous, on aspire à un truc : juste ne plus parler ballon.

L’arrogance, la morgue de la nouvelle génération, c’est ce qu’il s’est dit à l’Euro 2008 avec les Bleus…

Je ne sais pas et, franchement, je n’ai pas envie de savoir. Je parle de ce que je vois : ce n’est pas de la faute des jeunes. Il faut voir la pression de l’entourage, de l’encadrement, des intermédiaires… On leur monte le bourrichon, on leur fait croire qu’ils vont faire lever les stades ou les remplir. Moi, j’ai eu la chance d’avoir un coach comme Alain Perrin à Troyes, entre 1999 et 2003. Il a été dur avec moi. Fallait que j’en fasse toujours plus que les autres. Je trichais un peu, il me faisait payer. La veille d’un match contre Lens, j’avais oublié ma gourde sur le terrain. J’ai menti : «Non, je l’ai.»«T’as pas à me mentir, tu me trahis», c’était sa réponse. Il m’a fait faire trente tours de terrain, je devais les compter. J’étais rincé, je n’avais plus de cuisses. Je n’ai plus jamais sorti de craques depuis.

Une façon de vous responsabiliser dans un milieu infantilisant ?

C’est clair. On n’en peut plus d’être pris en charge.

Vos débuts au Havre ?

Je venais d’un quartier pauvre. Mon père était OS, il bossait à la chaîne chez Renault. Il devait faire vivre ma famille : deux sœurs, cinq frères. Moi, j’ai eu le bol d’être pris au centre de formation. Je n’ai jamais voulu en faire mon métier. C’était un rêve, une sorte de plaisir. Je kiffais : je ne voyais pas mes potes de quartier, mais j’étais proche de Nicolas Douchez à Rennes aujourd’hui et de tant d’autres qui se sont fait fracasser. Les autres jeunes venaient de la région parisienne. J’étais forcément le vilain petit canard. Le moindre problème, ça me retombait dessus. J’étais censé foutre la merde parce que je venais d’un quartier. A chaque fois, j’étais stigmatisé. On m’obligeait à sortir les poubelles pendant un mois, on me disait de balayer les feuilles devant le centre de formation. Si je me rebellais pour des conneries que je n’avais jamais faites, je risquais d’être viré. Jusqu’au jour où une grosse saloperie a été faite et que j’ai été injustement accusé. Là, j’ai craqué. J’avais 17 ans. Ma mère m’a ramené à la maison. Elle est venue au centre. Elle s’en est pris au président du club, Jean-Pierre Hureau , plutôt qu’au président du centre de formation, Jean-Pierre Louvel actuel président du Havre ainsi que du syndicat des présidents de club.«Attends, tu te plantes, lui, ça n’a rien à voir.» On est resté proches avec Hureau, je l’aime beaucoup : on en reparle, on en rigole. Il me dit encore : «Quand ta mère est arrivée, j’en ai pris plein la gueule.» Elle s’en était pris à la mauvaise personne. Elle voulait que j’arrête tout.

Vous avez besoin de briller ?

Oui, consciemment ou pas. Après, le foot peut s’avérer injuste. Il met en avant les attaquants, met - et tu remets, car les images tournent en boucle - en valeur celui qui marque. Mais prenez Souleymane Diawara défenseur marseillais : il gagne moins que moi à Fenerbahçe ou que plein de mecs à l’OM. Or, sur un terrain, il fait dix fois plus qu’un attaquant mieux rémunéré que lui qui marque sept pions par saison.

La Ligue 1 ?

Exigeante et pointue. Si c’est nul, pourquoi est-ce que les attaquants étrangers ne s’y baladent pas ? Parce qu’on a des défenses super organisées et les meilleurs gardiens d’Europe. Parce que le foot, en France, c’est comme les échecs : beaucoup de stratégie. T’avances tes pions, tu ne pars pas la fleur au fusil.

Le calcul ne tue-t-il pas l’instinct, le sens du moment décisif ?

Non. Mais le foot, au fond, est toujours plus compliqué que les journalistes sportifs ne le pensent. A l’OM, avec Eric Gerets, j’avais soi-disant des absences. C’est vrai. C’est vrai aussi que le coach ne me demandait pas toujours de marquer : je devais multiplier les appels, les contre-appels, créer des espaces pour d’autres. Etre plus défensif. Accepter les exigences du coach : normal pour un pro, mais les gens ne le voient pas. Quand tu gagnes et que l’équipe jubile, t’en as rien à foutre de lire la presse le lendemain.

Le foot, c’est quoi en dehors du boulot ? Une passion ? Un rejet ?

J’ai longtemps été accro grave, capable de mater des matchs de Ligue 2 ou de m’enthousiasmer devant une rencontre entre Stoke City et West Bromwich. Maintenant, je coupe. Sauf quand c’est Barcelone ou Arsenal.

On vous dit envieux d’aller à Liverpool. Le championnat rêvé ?

Je suis à Fenerbahçe, pour l’instant. Après, le foot anglais, c’est un monde à part. Imparfait mais spontané : ça part dans tous les sens, ça va vite, ça n’abdique pas. Une culture du foot comme nulle part ailleurs. Et l’argent coule à flots.

On vous réduit parfois à des mecs sans cerveaux, qui courent sur un rectangle vert…

Moi, j’ai fait un BEP de compta et j’ai une expérience de la vie. J’ai pris des coups, j’ai encaissé : de la pression, de la violence, du mépris. Faut faire avec, tracer sa voie. Après, parfois, on est un peu perdu. On n’a pas pu pousser nos études. Mais on a une carrière. Je connais des types qui avaient un talent monstre, qui se sont fait briser physiquement et qui se sont retrouvés à la rue.

Que pensez-vous de la génération des Nasri, Benzema, Ménez ?

Brillantissime. Samir Nasri, il est d’une intelligence rare dans la gestion de sa carrière. Je savais que c’était lui qui allait le mieux s’en sortir. Parfois, à l’OM, on dormait dans le même lit tellement on se racontait des histoires, des anecdotes. Il a toujours été intelligent. Il n’a pensé qu’au foot… et su ne pas penser qu’au foot. Jérémy Ménez, Karim Benzema, Issiar Dia qui a choisi de jouer pour le Sénégal, Blaise Matuidi… C’était difficile pour eux. J’ai eu une carrière progressive : eux, à 20 ans, ils cartonnaient. Tout leur était donné, ils n’avaient plus qu’à prendre. Une forme de malédiction : la presse sur ton dos, qui épie tes faits et gestes. Il faut avoir le cuir épais. Le pire, ce sont les insultes.

Il y a des stades de Ligue 1 où vous ne vouliez pas jouer ?

Le Parc des Princes, c’était pesant. Tu rêves que cela se finisse avant même d’avoir commencé le match.

Capitaine du Sénégal, après y avoir vécu un an seulement, ça veut dire quoi, au fond ?

Que je suis sénégalais, même si j’ai vécu en France où il est arrivé à l’âge de 1 an. Il y a parfois eu, dans le passé, une ambiance étrange. Certains se disaient plus sénégalais que d’autres. Mais quand tu portes le maillot des Lions de la Téranga, tu le mouilles, non ? Il y avait des clans et beaucoup de théâtre. Les mecs se pointaient avec la plus belle montre, la plus belle caisse, la plus belle meuf. J’avais dit stop en 2008, après la Coupe d’Afrique des nations au Ghana le Sénégal a été sorti au premier tour. Pourtant, c’est un espoir pour un peuple. C’est jouissif de rentrer sur le terrain pour ta sélection. Parce qu’elle n’appartient à personne.


Article(s) au format PDF

Commentaires

1. Le samedi 21 mai 2011 à 20:27 , par guilhem

Rien a dire,

Interview exceptionnelle de Mamadou Niang qui permet d'en découvrir encore plus sur un homme et un joueur tous deux de grande qualité. Et comme si ca ne suffisait pas, il nous donne avec intelligence son analyse sur des points débattus par nombre de journalistes avec moins de perspicacité: les caractéristiques du championnat francais, les aléas de la formation des jeunes, la discrimination envers les jeunes des quartiers, le statut des buteurs,... Une grande interview pour un grand Monsieur.

Merci a vous de sortir ca, je l'avais cherchée partout celle la.

Fil rss des commentaires de ce billet

Ajouter un commentaire

Important : les commentaires doivent être validés avant leur mise en ligne.

Nom ou pseudo :

Email (facultatif) :

Commentaire :

Captcha anti-spam :
quelle est la version de PHP 4.4.9 ?

Se souvenir de mes informations




 

FOOT NEWS - Votre site de football !

Partenaire vip : Parier foot
Blog foot | Forum foot | Annuaire foot | Boutique foot

Vidéo virale par ebuzzing

Newsletter Abonnez vous gratuitement à notre Newsletter. INSCRIPTION Flux d'informations Flux RSS
Abonnez vous gratuitement à flux RSS. Saisissez votre adresse email ci-dessous et cliquez sur valider.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire